VIBRATO
Accoutumance au plaisir en cadence.
Bruxelles. Janvier 2013. Ce lundi, Aude est arrivée tôt au travail. La société Crediwi sera là à 10h00' pour la nouvelle campagne de publicité. Cet usurier en pleine croissance pèse plus de la moitié du business de l'agence. Une responsabilité qu'Aude porte sereine, sûre de convaincre le client. C'est autre chose qui la tracasse, d'ordre privé.
La veille, chez elle, Aude avait été étonnée du paquet enrubanné d'or sur la cheminée. Surprise car en accord avec François, son compagnon chômeur, de cadeaux pour le Nouvel An, ils avaient convenu de se passer. Aussi, la curiosité l'avait accompagnée toute la journée rêvant même du voyage en Martinique si souvent évoqué. Médianoche : l'heure des vœux est enfin arrivée. Au déballage, rien concernant Fort-de-France mais enfoui sous un papier de soie, un objet oblong rose qu'à peine elle ose toucher de peur de l'animer... et pourtant c'est bien là sa finalité. Il faudra un François chauffé au Laurent Perrier rosé pour convaincre Aude de tester l'orgasme musicalement assisté. Il s'appelle Freestyle, ce vibrant complice qui une fois incorporé n'a de cesse de gigoter. Aude n'ayant pas craché sur les bulles alcoolisées est vautrée en nuisette dans le canapé. François, à l'autre bout du Château d'Ax, l'iPod callé dans la paume, envoie du lourd : Stuck On Fuckin' You, The Edge Of Glory, Judas… La lady, sous le casque, comme habitée par un courant d'air pulsé est de plus en plus secouée et le final d'Americano s'accompagne d'un râle prolongé. Depuis la chute de libido de François due aux rendez-vous répétés chez Pôle Emploi, voilà enfin le soulagement. Un déficit en jouissance comblé et un substitut à la galipette qu'elle va adopter.
Radan Kovacic de Crediwi est arrivé à l'agence avec son staff : quatre cavaliers de l'apocalypse financière en costume et cravate noirs ainsi qu'une grande blonde en escarpins dorés dont on s'interroge sur sa spécialité. Pour compléter, Roger, directeur artistique de l'agence en Converse à damiers, joue au bouffon bariolé. La présentation est un succès, le patron et ses acolytes opinant métronomiquement du chef avec des « bien ça ! ». Le slogan de la campagne : "Le bonheur est dans le prêt" accompagne des photos d'hommes et de femmes heureux sur la voie du surendettement. En clôture, Radan Kovacic marquera virilement son accord par une claque dans le dos d'Aude suivie d'une invitation pour tous au restaurant.
A peine installé en tête de tablée, Radan Kovacic annonce avoir commandé un stoemp de chicons aux lardons… pour cimenter cette fructueuse collaboration. On lui fait crédit d'une originale intention toutefois réservée aux estomacs en béton. Au fil du repas, le beaujolais aidant, Radan Kovacic toujours dominant évoque la fulgurante ascension de Crediwi qu'aucun scrupule n'affaiblit. Mais Aude est ailleurs, préoccupée par le travestissement de ses jeux amoureux avec son ami François. Freestyle s'était installé au point de s'imposer. L'éclaircie viendra deux mois plus tard au printemps, François retrouvant un job de responsable export pour un fabricant d'éoliennes. Le désir renaissant, ils conviendront de contenir la trop grande emprise de Freestyle. Dorénavant, la fréquence d'usage sera hebdomadaire et pour Aude la prochaine à faire râler sera Béhoncé.
La société de François qui a le vent en poupe l'amène à beaucoup voyager, laissant l'aimée à ses solitaires soirées. Pas question toutefois de retomber dans des travers accessoirisés qu'ils s'étaient jurés de maîtriser. Par ailleurs, au fil des réunions, Aude s'était liée d'amitié avec Olga la blonde accompagnatrice chez Crediwi qui, un jour de confidence, lui révèle être l'unique actionnaire de la société, laissant à son perpétuel énervé de frère Radan le soin d'amuser la galerie. Olga, jeune veuve restée avec un beau paquet d'argent après la mort de son mari entrepreneur BTP croate avait élu domicile à Uccle la huppée. Bizarrement, c'est la fréquentation quotidienne de la prospérité qui lui a ouvert les yeux sur l'opportunité de s'occuper lucrativement des gens en mal d'argent.
Pendant plus d'un an, crédit revolving et hélices à vent vont prospérer de concert jusqu'à ce samedi, jour d'agitation hebdomadaire de Freestyle où François, scotché à BFMTV, alertera Aude : sa cliente croate vient d'être arrêtée pour le meurtre de son époux… au prix de la moitié du chiffre d'affaires de l'agence.